Le Sympathisant

C’était ma guerre

Il y a des BD qui te frôlent, et d’autres qui te plantent un doigt dans la poitrine pour vérifier si tu respires encore. Le Sympathisant d’Antoine Ozanam et Greg Lofé fait plutôt partie de cette deuxième catégorie. Et je te préviens d’emblée : je n’ai pas lu le roman original. Pas par snobisme inversé, juste parce que la BD est arrivée avant le livre dans ma vie. Et franchement, ça ne m’a pas empêché de prendre une claque.

D’abord, le dessin

Je l’ai adoré — vraiment. Ce trait nerveux, presque fébrile, qui donne l’impression que chaque page a été grattée dans l’urgence, comme si Lofé n’avait pas le temps de respirer entre deux vérités trop lourdes. C’est un style qui ne cherche pas à plaire mais à percer. Ce mélange de réalisme et d’expressivité un peu brut, ça fonctionne merveilleusement avec un récit qui parle de duplicité, de fracture intérieure, de loyautés impossibles.

Et puis il y a l’histoire…

que je n’ai pas seulement lue : je l’ai ressentie comme un écho, une vibration familière.
Parce qu’être à moitié vietnamien, ça te colle une forme de spectre identitaire qu’on n’a pas toujours les mots pour expliquer. Je ne prétends pas avoir vécu ce que raconte Le Sympathisant — évidemment non — mais certaines discussions dans ma famille, certaines confidences à demi-mot, certaines blessures qui refusent de dire leur nom… tout ça flotte quelque part entre les pages. Comme si la BD ouvrait un entrepôt de mémoires dont tu reconnais juste l’odeur.

Ozanam réussit surtout quelque chose de rare : faire sentir la tension du “double”, non pas comme un twist narratif, mais comme une condition existentielle. Ici, la duplicité n’est pas glamour. Elle n’est pas non plus cynique. Elle est tragique, intime, inévitable. Et ça, Lofé le renforce visuellement avec un sens de la mise en scène qui alterne entre le calme trompeur et la crispation permanente.

L’ambiguïté à l’air libre

Ce qui m’a plu, c’est que la BD n’essaie pas d’expliquer ou de simplifier.
Elle laisse l’ambiguïté vivre sa vie. Elle ne t’offre pas un manuel de compréhension historique sur un plateau : elle te balance dans un monde où rien n’est complètement propre, où la morale s’effrite dès que tu essaies de la saisir. Et c’est précisément ce qui donne à ce récit son poids, son souffle, et son malaise fertile.

Bref, en sortant de la lecture de Le Sympathisant, je n’avais pas une opinion claire.
J’avais un battement. Un inconfort. Une envie de creuser. Ce genre de lecture qui ne te propose pas une sensation immédiate mais un arrière-goût persistant — un goût d’identité fracturée, de mémoire en chantier, d’héritage brouillé. Et honnêtement, c’est le plus beau compliment que je puisse lui faire.

Ils ont kiffé :

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