Posté 11 mai 2018 par dans la catégorie Dossiers
 
 

Ed Brubaker dans Question De Style Episode 8 par Comics Grincheux

 

Ed Brubaker, un auteur qui aime jouer avec les apparences.

 

Ed Brubaker est un auteur connu essentiellement du grand public pour avoir été la source d’inspiration pour le deuxième film Captain America : le Soldat de l’Hiver. Le personnage est sa création pour le compte de Marvel lorsqu’il a commencé son run long de presque six ans sur le personnage. Il réinvente Bucky Barnes qu’on pensait tous mort et qui était finalement contrôlé mentalement pour devenir un tueur d’élite. Si ce n’est pas son premier travail, il est celui qui affirme Ed Brubaker comme un auteur avec un grand A. Il parvient à conserver ses thèmes et ses techniques de narration chez un des deux grands éditeurs où la rigidité des règles est bien connue. Mais c’est surtout son travail en tant qu’auteur indépendant qui permet de confirmer toute l’étendue de son talent et sa maîtrise de mécaniques de narration qu’ils détournent astucieusement !

 

Ed Brubaker aime les polars noirs et ça se ressent, le récit Fondu au noir est un pur hommage à ce genre. Ses récits prennent place dans des univers poisseux, crasseux et sombres. Les dessinateurs avec qui ils collaborent, Sean Philips ou Steve Epting, en tête, aiment justement jouer avec les nuances de noirs et les ombres. Son premier travail sur Catwoman montre son amour pour une narration où le personnage principal commente l’action mais surtout où il fait part de ses états d’âme. C’est une technique finalement assez commune dans le monde du comics mais Brubaker s’en sert pour sonder l’âme de ses personnages et finalement montrer qu’ils ne font que subir la fatalité qui s’est emparé du monde.

 

 

Pour ses œuvres suivantes, il va affûter cet aspect. Il développe ainsi un narrateur omniscient qui semble commenter l’action des personnages constamment, comme un spectateur qui ne fait qu’assister à leur chute. Les univers créés par Ed Brubaker sont ainsi, sombres, noirs et profondément désespérants. Les personnes y luttent contre un destin qui ne leur laisse entrevoir qu’une issue fatale. Dans Captain America, il supprime le commentateur, certainement pour une plus grande simplicité dans le suivi de l’intrigue tortueuse mais il nous fait nous promener dans des scènes où il montre des personnages perdus, dans un monde où les apparences sont toujours trompeuses. Mais c’est surtout dans Criminal qu’il affine cet aspect, vivotant selon les volumes entre le narrateur omniscient et le narrateur-personnage et confirmant sa maîtrise de cette technique. Ce sera le même constat dans Fatale mais c’est surtout sa dernière œuvre, Kill or be killed qui va concrétiser une forme d’aboutissement puisqu’il met en œuvre un narrateur-personnage qui nous raconte l’histoire depuis le futur et qui sait ainsi tout ce qui va se passer. Cela permet à l’auteur de nous piéger, jouant encore plus sur les faux-semblants et sur l’omniscience de son héros/narrateur. Quand, en plus, de cela, il se permet d’ajouter des personnages secondaires comme commentateurs de l’action dans des chapitres dédiés, il éclate encore plus son récit, déstructurant ses propres règles pour mieux approfondir son récit.

Si je parle sans arrêts de faux-semblants, c’est parce que Ed Brubaker aime jouer sur cet aspect. Captain America et Velvet sont des récits d’espionnages et la technique narrative permet justement de renforcer la tromperie et la duplicité. La narration montre tellement les états d’âmes des personnages qu’on pense les connaître jusqu’au moment où le piège se révèle. Velvet est ainsi gavé de rebondissements, de twists à vous coller une attaque cardiaque. Le rythme est soutenu, frénétique. Les intrigues à tiroirs sont nombreuses chez l’auteur, il y a toujours une couche supplémentaire qu’on ne comprendra qu’au bout d’un moment. Pour moi, c’est Fatale qui est l’exemple le plus symptomatique. On pense avoir à faire à une intrigue de polar noir classique avec une femme fatale qui piège le policier alors qu’on va se rendre compte qu’il y a un aspect fantastique derrière, rendant hommage au mythe lovecraftien. La femme fatale devient l’héroïne d’une histoire dont elle comprend tous les enjeux mais où elle joue à la demoiselle en détresse. Les thèmes forts et la narration aboutie de Ed Brubaker faisant tout le travail.

C’est donc un auteur affûté au style affirmé et qui ne s’en départi jamais et le fait évoluer constamment. Bref, c’est passionnant à analyser et je ne peux que vous encourager à aller lire Fatale, son run sur Captain America ou encore Kill or be killed qui figure parmi ses meilleures séries, à mon avis.

 

 


 
Comics Grinch râle beaucoup. Son origine vient de ses nombreuses grincheries envers BvS. Ayant gonflé sa petite amie avec ça, elle lui suggéra d'en parler avec d'autres. Ce fût chose faite. Vénère Grant Morrison, conchie Mark Millar.