Posté 14 septembre 2018 par dans la catégorie Dossiers
 
 

Brian M. Bendis dans Question de Style S02E01

QDS S02E01 Brian Bendis

 

Bienvenue dans ce nouveau Question de Style avec un changement de formule. Pour vous expliquer les choses simplement, je commençais à m’ennuyer de simplement balancer une étude du style narratif d’un auteur sans l’encadrer plus précisément. Une idée simple m’est alors apparue, pourquoi ne pas problématiser cette étude afin de la rendre plus piquante, plus attrayante et peut-être aussi plus profonde ?

 

Et pour commencer, on s’attaque à un auteur qui ne fait plus vibrer mon petit cœur de lecteur de comics, Brian Michael Bendis !

Pour commencer, il est essentiel de débusquer les influences de l’auteur parce qu’elle fonde l’essence de son style assez unique sur la scène comics même s’il a désormais influencé une nouvelle génération dont Kelly Thompson et Nick Spencer me semble être les plus meilleurs héritiers, en dignes innovateurs du style de l’auteur.

L’influence la plus évidente vient du côté des séries TV, notamment chez Aaron Sorkin et Richard Price. Ce qui caractérise ses trois auteurs, ce sont l’importance qu’ils fondent dans les dialogues. Aaron Sorkin est ainsi connu pour son style nommé « walk and talk » ou « marcher et parler ». Vous avez pu voir son travail sur The Social Network, Le Grand Jeu ou sa propre série A la Maison-Blanche. Chacun de ses trois œuvres se caractérisent par un débit mitraillette dans les dialogues. Ça fuse dans tous les sens tout en restant fluide et en posant un intérêt dans les intrigues et le développement psychologique. Les personnages sont souvent des névrosés hyperactifs qui comblent le vide de leur vie par un bruit de fond permanent.

Chez Brian M. Bendis, on retrouve cet attrait pour les dialogues. Mais là où chez Aaron Sorkin, tout est millimétré et précis, chez l’auteur de comics, il utilise un style moins fluide, avec des cassures et des à coups pour rendre les discussions plus vivantes. C’est là qu’on voit l’inspiration de Richard Price qui, dans des séries comme The Wire utilisait beaucoup cet effet avec des balbutiements, notamment. Plus largement, c’est aussi l’école David Simon, le créateur de la-dite série qui l’influence dans sa volonté d’aller puiser dans un aspect réaliste pour le traitement des histoires. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, l’auteur est beaucoup critiqué pour cela. En effet, les dialogues prennent une telle place que l’histoire a du mal à exister au-delà et n’avance que très peu et par à-coups très (trop ?) marqués. Du coup, on peut clairement se demander comment on a pu passer d’un auteur qui offre des histoires avec un style original, novateur et très intéressant à un auteur qui parodie aujourd’hui son propre style ?

 

Passe-moi le savon, Brian.

Ma première découverte avec l’auteur se fait au travers de House of M. Et tout de suite, j’ai été séduit. Pas seulement par le style d’écriture mais par l’histoire également. En six numéros, Brian M. Bendis brasse beaucoup d’éléments de l’univers Marvel, inscrit son intrigue dans des éléments qu’il a mis en place précédemment (mais je ne le savais pas encore) et surtout il créé un univers cohérent, crédible en proposant des relectures de personnages connus. Il le fait bien entendu en insistant sur des dialogues ciselés avec la recherche du bon mot et surtout l’impression de voir les personnages s’exprimer de façon naturelle. Cet aspect fût un tournant dans ma vie de lecteur, bien loin du langage surjoué des âges précédents des comics qui me laisse toujours froid. L’auteur appose sa marque sur un univers dans lequel il va être amené à manipuler de nombreux personnages.

Mais la plus belle démonstration du talent de l’auteur, c’est sa co-création, avec Michael Gaydos, de Jessica Jones, la détective privée au caractère bien trempé et au verre facile. Ce qu’on va découvrir dès les premières pages, c’est l’amour pour les dialogues, un amour passionné qui ne tend jamais à l’excès. Tout est fait pour que le lecteur ait le sentiment d’assister à une discussion comme on pourrait en avoir de manière ordinaire. Les bouches tremblent, les mots vacillent, des pensées leur échappe, les personnages racontent des bêtises et se corrigent, ils bafouillent, se reprennent, se répandent. Bref, Brian M. Bendis construit des dialogues comme des échanges entre personnes ordinaires et c’est peut-être sa plus grande originalité. Son sens du dialogue clairement hérité du monde de la télévision rappelle de grands moments de télévision et la série Alias va lui permettre de favoriser cela avec un style très mature. Violence, sexe, injures, avec le label Max, l’auteur ose tout et va aborder des sujets dignes de polars durs.

 

 

Mais cette formule et ce savoir-faire dans les dialogues, l’auteur va la détailler et l’appliquer aux super-héros les plus importants de Marvel : les Avengers (ou les Vengeurs pour les vieux comme Jé). Mais avant ça, il va faire ce qu’il aime le plus faire dans ses récits : mettre le bazar dans les relations individuelles. Car si son sens des dialogues est inspirée des séries TV, son attrait pour le soap puise lui aussi là-dedans. Le soap, c’est ce genre qui irrigue de nombreuses séries TV et qui se base avant sur tout sur les personnages. En bref, ça donne des séries comme Dallas, Urgences, Grey’s Anatomy ou encore Friday Night Lights qui sont dirigés par leurs personnages, ce qu’on appelle aussi des séries characters driven, en opposition aux séries basées sur les événements. Finalement, ce qu’on retrouve dans ses séries, c’est un focus sur le relationnel et forcément, ça passe par la création de conflits entre les personnages, de romances et d’intrigues à tiroir. Brian M. Bendis va appliquer ce postulat à la lettre et faire de ses Avengers une grande fresque très orientée dans ce sens. La saga Disassemble le montrant assez manifestement puisqu’elle est intégrée comme le début de son run et propose une intrigue digne, dans ses meilleurs aspects, des grandes sagas soap. Ses Vengeurs sont une famille complètement déséquilibrée et dysfonctionnelle où les individus vont se trahir, s’aimer et se déchirer à cause soit de leurs pouvoirs, soit de leurs personnalités. Malheureusement, si les débuts de ce run sont séduisants (sauf pour moi mais c’est parce que je suis relou), la suite va vite aller se gâter entre des problèmes de politique éditoriale et les débuts d’un enfermement et d’une prise au piège de l’auteur.

 

Je t’aime, moi non plus.

Et c’est justement ce piège, cette forme de parodie que contribue désormais à créer Brian M. Bendis dans ces histoires selon moi. Parce que si son sens du dialogue est parfois toujours impeccable, il a globalement énormément perdu en efficacité pour se concentrer bien trop sur des éléments « réalistes ». Et si j’adorais cette précision et ce goût du mot adapté à chaque type de personnage qui faisait le sel de son style, aujourd’hui et on peut marquer ce départ à la période Marvel Now, selon moi, ce n’est plus ainsi. Désormais, l’auteur fait de longs monologues, des discussions creuses et interminables où ce n’est plus l’envie de créer un dialogue impactant et efficace qui prime mais le problème d’un trop grand amour pour les personnages qui devient paralysateur. En effet, l’auteur le confesse volontiers, il aime les personnages qu’il manipule, surtout lorsqu’il les a créés. Au-delà des bonnes idées que l’auteur a très souvent, c’est l’exécution qui parait pécher parce qu’au détriment du développement des personnages et de l’intrigue, ils vont parler pour brasser de l’air et occuper l’espace. Ça pourrait donner des comics très intéressants sans la limite de pages des Big-Two. C’est ce qui devient réellement problématique parce que l’approche de Brian M. Bendis s’est diluée dans une forme de remplissage du vide. Les personnages parlent trop souvent, il n’y aucune case sans texte et, si cela pouvait apparaître comme utile dans une série comme Alias pour le développement de l’enquête et le travail sur la psyché des personnages, ça devient largement plus problématique dans un event tel que Civil War II où le fond politique ne va jamais décoller, les personnages réutilisant trop souvent les mêmes arguments inlassablement sans faire évoluer le récit d’une quelconque manière. Pour autant, dans Civil War II, l’histoire avance, sans queue ni tête mais elle avance. Plus que lorsque l’auteur va s’occuper des Gardiens de la Galaxie où son style paraissait pourtant adapté mais où l’auteur montre le je-m’en-foutisme royal qui l’habite lorsqu’il s’agit de manipuler des éléments cosmiques. Ce sont les relations entre les personnages qui vont, une fois de plus, le guider. Après tout, pourquoi pas ? Les Gardiens sont une famille dysfonctionnelle, un peu à la manière des X-Men de Chris Claremont. Le véritable problème et l’arc qui me parait le mieux l’incarner, c’est celui que nous offre l’auteur lorsqu’il amène Venom dans l’équipe. Pourquoi ? Comment ? On n’en sait trop rien. Le résultat est que, lorsque le symbiote commence à déconner, l’équipe va aller sur la planète qui les a vu naître pour trouver un remède. On s’attend alors à des développements sur la mythologie de cet ennemi de Spidey mais las. L’équipe va passer son temps à s’engueuler au fur et à mesure que Flash Thompson perd le contrôle et que Venom va aller posséder chacun des membres des Gardiens, entraînant baston et dialogues vides. L’auteur parsème son récit de twists, cliffhangers pour maintenir l’intérêt mais rien n’y fait. Et ce sera pareil dans le comics Defenders où l’auteur va atteindre les sommets de sa parodie en multipliant les rebondissements pour tenter de masquer le vide de son intrigue. Les personnages discutent trop pour ne pas avancer d’une quelconque façon dans leur histoire, ils se font défoncer par des mecs X ou Y sans qu’on sache pour quelle raison. Ça devient long et chiant et même la psychologie des personnages n’avancent pas. Le relationnel étant toujours basé sur des schémas identiques, à base de forts caractères, amourettes et secrets creux, ça ne marche plus à un moment donné.

 

 

Et on en vient à un autre problème que connait désormais l’auteur : il n’a plus de limites. Chacun de ses arcs semble être porteur d’idées cool pour les séries dont il s’occupe. Le concept des X-Men du passé est sympathique mais c’est une idée qui a beaucoup trop duré. Les idées de l’auteur sont malheureusement vouées à l’échec. Spider-Men II en est aussi la preuve la plus flagrante. L’auteur va répondre à une des questions qu’il avait laissé en suspens. Avant son départ, il tente de lui apporter une réponse. Le résultat est désastreux. Je le soulignais dans ma review mais l’idée qui fonde l’identité du Miles Morales de la Terre-616 est excellente. Le problème, c’est qu’à côté, le récit est totalement mauvais. Peter et Miles subissent l’intrigue, s’engueule à longueur de temps et ne comprendront jamais rien à ce qui vient de se passer. C’est long, c’est chiant et finalement, on se demande l’intérêt.

L’auteur semble donc ne plus rien avoir à raconter et fait alors preuve d’un remplissage du vide qui bien au contraire vide toutes ses intrigues d’un quelconque intérêt. Les histoires ne se développent que par soubresauts, lorsque les héros s’arrêtent de discuter. On se retrouve alors avec des résultats creux et souvent peu passionnants puisque les dialogues ne servent plus à développer des aspects du scénario ni même les personnages. C’est dommage parce que l’auteur est l’un des seuls à développer ce type de narration. Pourtant, parfois, lors d’un début d’arc, il y a de bons récits à trouver. Les débuts de Miles sur le Terre-616 sont très agréables à lire, de même que sa série sur Jessica Jones. Malheureusement, cela est trop peu fréquent pour que le travail global de l’auteur puisse être relevé. Il faut maintenant chercher du côté de Nick Spencer pour trouver un auteur qui parvient à créer des dialogues mordants, qui donne un sentiment de crédibilité bien spécifique et offre à chaque personnage une voix bien précise. Et identiquement chez Kelly Thompson qui a été choisi par Brian M. Bendis pour reprendre Jessica Jones. Espérons que l’un et l’autre parviennent à rester cohérents dans leur style pour ne pas tomber dans les travers de leur mentor.

 

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Comics Grinch râle beaucoup. Son origine vient de ses nombreuses grincheries envers BvS. Ayant gonflé sa petite amie avec ça, elle lui suggéra d'en parler avec d'autres. Ce fût chose faite. Vénère Grant Morrison, conchie Mark Millar.