Posté 25 mars 2019 par dans la catégorie Dossiers
 
 

Nick Spencer dans Question de Style S02E05 – Partie 2

 

Avant de reprendre notre QdS sur Nick Spencer, voici la version audio de cet épisode :


Nous nous étions laissés alors que j’abordais Captain America, version Sam Wilson sous la plume de Nick Spencer. Ce dernier est en effet dans une position inconfortable face au port du costume, du bouclier et du symbole qu’il est censé être. Il se retrouve tiraillé entre ce qu’il pense que le symbole impose, ce qu’il veut véritablement incarner et ce que différents groupes veulent qu’il soit. On se retrouve ainsi face à un personnage tiraillé dans tous les sens, entre son ethnie, le symbole qu’il porte et qui il est. Chacun veut y aller de sa propre exigence face à lui et il se retrouve souvent perdu et en pleine confusion. Lorsque Steve Rogers se retrouve revigoré par la jeunesse, on découvre lors d’un twist qui a fait grand bruit (pour les mauvaises raisons) que le personnage s’est allié à Hydra. Mais en façade, il va rester le Captain America que l’on connaît. Ici, ce n’est pas pour cacher un mal-être intérieur mais pour masquer un plan très élaboré sous le symbole de droiture qu’est Steve Rogers. Les deux facettes des Captain America ne vont pas se combattre avant Secret Empire mais Nick Spencer propose ici des réflexions intéressantes sur les super-héros. Entre ce qu’ils doivent représenter, notamment quand un titre leur a été transmis et ce qu’ils veulent être véritablement.

Pourtant, le plus fascinant dans le travail de Nick Spencer, c’est que cette emphase sur l’autre fait finalement sens avec la dualité de ces histoires. Ses séries bénéficient souvent d’un mélange entre sérieux et humour corrosif, jamais partagé de façon équitable, bien au contraire. A ce titre, dans Secret Avengers, les débuts sont assez marrants, notamment parce que Hawkeye est beaucoup mis en avant mais la série va vite glisser sur un terrain plus paranoïaque avec l’introduction d’un outil scénaristique qui donne un nouveau sens à ce que l’on vient de lire. Tromperie et duplicité sont au cœur même du comics puisqu’on est face à un récit d’espionnage, ce qui implique forcément de nombreux twists et une étude des doubles-identités, qui se voit directement incarné par un personnage. En vingt pages, Nick Spencer nous fait comprendre qu’il y a un truc de pourri au S.H.I.E.L.D. Malgré cette ambiance que l’on penserait pesante, l’auteur sait comment doser son rythme et surtout, il arrive à détendre l’atmosphère grâce à l’introduction de moments loufoques.

Cette analyse du double va aussi plus loin car si tous les personnages de l’auteur ont deux facettes, il va s’en servir, à certains moments pour effectuer des analyses politiques poussées.

 

Le versant politique de Nick Spencer.

En effet, dans son Captain America, l’auteur va s’en donner à cœur joie. Comme je le disais, il y a déjà une analyse qui est réalisée sur la personne de Sam Wilson, son rapport au symbole qu’il incarne et le rapport que les communautés entretiennent avec lui. Avec un afro-américain sous le costume, il met en exergue tout le racisme de son pays mais il va aussi frapper sur d’autres terrains bien plus minés. On a parfois du mal à le suivre tant il traite de sujets forts et différents en peu de temps, comme ce numéro où il tape autant sur l’extrême droite que sur l’extrême gauche et les revendications communautaristes parfois exagérées. Nick Spencer semble vouloir montrer que c’est l’individu, qu’il soit racisé ou non qui fait ses propres choix, en fonction de plusieurs critères qui lui sont propres. Cela reste souvent maladroit dans l’approche mais il y a une volonté de casser les codes et de chercher un équilibre. Sam n’a pas réellement choisi le rôle qui lui est tombé dessus mais il cherche à poser un équilibre, cherchant à représenter tout le monde. Une idée sûrement naïve car, comme il devrait le savoir, on ne peut pas plaire à tout le monde. L’ensemble de la série et son parcours jusqu’à Secret Empire ira dans ce sens avant qu’il n’atteigne le point d’équilibre.

Dans Secret Empire et surtout dans son final, c’est aussi la confrontation entre les deux Steve Rogers qui est intéressante car elle est le symbole de deux Amériques qui n’ont pas fini de se confronter tel que ne cesse de le démontrer la présidence Trump. C’est aussi le rapport conflictuel que le lectorat comics entretien avec son médium. Consciemment ou non (mais vu l’intelligence de l’auteur, je pencherai pour la première option), il montre comment ce Captain America est perçu. Car oui, l’Hydra n’est pas nazie, elle exacerbe et Steve Rogers avec elle, le sentiment nationaliste et le repli sur soi. L’auteur se joue alors du rôle que le symbole Captain America représente pour mieux mettre en exergue l’optimisme fondamental des comics et des récits de super-héros. Car même si ses histoires sont sombres, même si elles sont parfois très sérieuses, l’auteur n’oublie jamais de mettre en place une relance de l’espoir.

Mais Secret Empire, c’est aussi un renouvellement du discours sur l’ennemi intérieur. Pour ceux qui ne le connaîtrait pas, c’est un trope du récit d’espionnage qui veut que l’ennemi n’est jamais celui que l’on voit mais celui qui est camouflé et qui est généralement au pouvoir. C’est un outil narratif très souvent utilisé par Tom Clancy et dans la série TV, 24 qui met en exergue une défiance de beaucoup envers le pouvoir politique (souvent, celui d’opposition et de gauche) et envers les puissants. C’est aussi un outil narratif souvent dangereux car il tend à illustrer une paranoïa qui tend au conspirationnisme permanent, ce que Tom Clancy et 24 faisait très souvent. L’auteur, en utilisant Steve Rogers comme un ennemi du pays renouvelle ce discours en faisant de lui un individu dangereux car placé au-dessus de tout soupçon puisqu’étant une idole, adulée par tous et donc, forcément sans danger. L’infusion du thème de la fin des idoles dans un schéma du type « ennemi intérieur » tend à le renouveler en montrant surtout qu’il ne faut pas placer des individus sur des piédestaux. En effet, comme le monde tend à nous le prouver chaque jour, on ne connait jamais vraiment personne. Sans devenir paranoïaque et conspirationniste, Nick Spencer tend dans son histoire à faire réfléchir sur les actes établis factuellement. Que penser d’un Captain America qui fait légaliser la mise en place d’un bouclier autour de la Terre pour empêcher les forces aliens de s’infiltrer ? Cela ne ferait-il pas penser à la construction d’un certain mur à une certain frontière, utilisant une rhétorique sécuritaire ?

L’auteur veut faire réfléchir aux faits qui sont devant nos yeux, sans prendre en considération la personne qui en est à l’origine. Si Secret Empire me parait bancal sur de nombreux points, il ne l’est jamais sur ses thématiques et sur son volet politique, à l’importance capitale, selon moi.

 

La juxtaposition des thèmes dans The Fix.

The Fix, la dernière création de Nick Spencer avec son compère de The Superior Foes of Spider-Man, Steve Lieber brasse ensemble tout ce que l’auteur a développé auparavant et que j’ai développé mais en amenant l’ensemble à un tout autre niveau.

The Fix (que Bomask présente excellemment bien) est trash, c’est une satire hardcore de la société actuelle où l’apparence compte plus que le reste et où chacun triche pour se faire sa place. Les héros y sont des loosers comme Nick Spencer n’en avait jamais écrit jusque-là. Car si Boomerang, Scott, Taskmaster et les autres sont attachants, ici, le personnage principal est une ordure de la pire espèce. Un faux-jeton, pleutre qui veut briller encore plus fort que tout le monde malgré son incapacité flagrante à assembler deux idées ensemble. Le tout est emballé dans une satire au vitriol de la société avec clone de Miley Cyrus.

Alors oui, The Fix n’est pas subtil, beaucoup de choses y semblent gratuites mais la maîtrise des twists y est encore exemplaire. Pendant dix pages, nous suivons deux braqueurs qui semblent assez mauvais dans leur genre. Les dialogues y sont encore très drôles et bourrés de punchlines, les pensées du héros mettent en avant un certain ras-le-bol et la situation qui se déroule sous nos yeux est totalement ubuesque : des retraités se font dévaliser. Passés ces dix pages, dans la dernière case de la onzième page, on découvre que les personnages sont des flics. Boum, titre de la série et explications ensuite. La manière qu’à Nick Spencer de parvenir à réunir ces thèmes en ces dix pages est assez exemplaire. Il y critique le flux trop rapide d’informations et l’évolution encore plus rapide de la criminalité, fait l’éloge de la médiocrité de ses héros et le twist permet de comprendre qu’il va y avoir un rapport à l’autre.

En tant que série creator-owned, The Fix permet surtout aux deux artistes d’aller plus loin que Superior Foes. Là où cette dernière se basait aussi sur l’histoire d’un groupe de criminels qui tente un gros braquage pour se sortir d’une situation totalement chaotique, The Fix emmène le duo beaucoup plus loin, poussant le curseur très haut. Leurs personnages ont un rapport complexe à leur autre mais tente de le camoufler sous une dose de drogues, alcool et joyeuses débilités. De plus, la société les force à ne pas s’assumer, comme lors du chapitre 3 où ils montrent toute l’hypocrisie d’une société qui n’a aucun mal à construire la personnalité d’une jeune fille qui ne vit jamais par elle-même et qui, lorsqu’elle le fait, se détruit car elle n’existe plus.

La couverture du numéro 2 est à mon avis ce qui représente le mieux l’esprit de la série. L’un des personnage en train d’uriner sur le panneau d’Hollywood. Créateur comme personnages pissent littéralement sur toute la superficialité du système et pète les conventions, quitte à ce que certains trouvent cela totalement gratuit, méchant ou trop. Mais redécouvrir l’œuvre à l’aune de toutes les autres montre qu’elle est une forme d’aboutissement thématique et narrative.

 

Nick Spencer est un auteur à la narration bien plus riche que ce que l’on pourrait croire de prime abord (moi, le premier). Touchant à un thème fort : le rapport à l’autre, il emballe cela dans des histoires pleines d’humour grâce à des punchlines superbes ou des histoires au contenu politique souvent dense et passionnant. The Fix ressemble véritablement à un aboutissement complet du travail entamé dès 2010, constituant son magnum opus.

Forcément, si vous aimez The Fix, vous avez dû voir la vidéo de Bomask mais sait-on jamais, je vous la remets !

 

Et pour la partie 1, c’est ici !

 

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Comics Grinch râle beaucoup. Son origine vient de ses nombreuses grincheries envers BvS. Ayant gonflé sa petite amie avec ça, elle lui suggéra d'en parler avec d'autres. Ce fût chose faite. Vénère Grant Morrison, conchie Mark Millar.