Posté 20 janvier 2020 par dans la catégorie Dossiers
 
 

Comics, piratage, et modèle économique à adopter

Aujourd’hui, on se retrouve pour un article un peu particulier. Déjà, parce qu’il nous a été proposé par un de nos lecteurs (que l’on remercie chaleureusement !). Ensuite, parce qu’il traite d’un sujet un peu tabou : le piratage des comics.

« Don’t pirate my %$# books dude! »

 

C’est avec ces termes sans équivoques que Donny Cates, l’auteur le plus en vue du côté de chez Marvel avec des titres comme Venom, Absolute Carnage ou Thor¸ a répondu à un fan sur Twitter. Ce dernier lui ayant avoué avoir découvert ses titres par le biais du piratage[1].

Cette discussion, énormément relayée sur le réseau social, a ouvert un débat. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a été pour animé. Les lecteurs, les artistes et les multiples acteurs de cette industrie s’en sont mêlés. À l’heure où le marché du divertissement est parvenu à faire reculer le phénomène du téléchargement illégal en se tournant vers des services par abonnement, qu’en est-il du marché du comic-book ?

 

Un marché particulièrement exposé au piratage

S’il demeure difficile de quantifier la part du lectorat s’adonnant au téléchargement illégal, de nombreux sites permettant de pirater rendent accessibles les chiffres concernant le nombre de passages sur leurs pages. C’est sur ces bases que de nombreux acteurs de l’industrie ont tiré la sonnette d’alarme. Ainsi, Jim Zub, scénariste de titres tels que Conan chez Marvel ou Dungeons & Dragons chez IDW, souligne dès le mois d’avril 2019 que son comics Champions#4  avait généré des milliers de téléchargements illégaux dès le premier jour de publication[2].

Selon lui, il y aurait « vingt fois plus de téléchargements illégaux que d’achats »[3]. Certains internautes tentent maladroitement de défendre l’idée selon laquelle le piratage offre une certaine visibilité aux artistes qui se répercuterait ensuite sur les ventes. Cependant, l’écrasante majorité des retours concernant les professionnels de l’industrie souligne, au-delà de l’argument moral du vol, que la situation d’artiste et d’éditeur est une situation précaire pour l’écrasante majorité des personnes concernées, et que chaque vente compte.

L’argument affirmant que le piratage n’a qu’un impact minimum sur les ouvrages issus de grandes maisons d’édition telles que DC Comics ou Marvel Comics ne tient pas. Jimmy Palmiotti, notamment auteur d’Harley Quinn chez DC Comics, souligne le fait que même les auteurs des deux principales maisons d’édition ne touchent de royalties qu’à partir de 60 000 numéros vendus[4]. De nombreux titres sont annulés faute de vente, sans avoir atteint ces chiffres. Scénaristes, dessinateurs, encreurs, coloristes, lettreurs et éditeurs sont directement impactés par la faiblesse des ventes. Or, la situation se trouve être encore plus dramatique pour les maisons d’édition indépendantes.

Pourtant, le phénomène du piratage est loin d’être une nouveauté dans le monde des comics. Dès les années 2000, il était tout à fait possible de se procurer des comics piratés, scannés par des fans, en torrent, en téléchargement illégal, voire même à travers une lecture en streaming. Néanmoins, le développement du marché du comics numérique à partir du début de la décennie a contribué à la multiplication des possibilités de téléchargements illégaux.

Les DRM visant à limiter l’accès de ces fichiers ont rapidement été contournés. Par conséquent, les copies se sont diffusées sur de nombreux sites internets. Ces derniers continuent à subsister par le biais de la publicité, mais aussi par le biais de la donation volontaire[5]. L’accélération des bandes passantes, couplée à la faible taille des fichiers (à peine quelques dizaines de mégaoctets), ont fait du marché du comics numérique un secteur particulièrement touché par le piratage illégal.

Or, depuis quelques années, le marché du divertissement numérique pris dans sa globalité est parvenu à faire reculer le phénomène du piratage. L’avènement des services de streaming légal et de la formule par abonnement aide certainement. En effet, des offres telles que Netflix pour l’audiovisuel, Spotify pour la musique, ou même Audible pour le livre audio, ont dans un premier temps proposé une alternative sérieuse au piratage.

Une étude menée par le bureau de la propriété intellectuelle de l’Union Européenne[6] souligne cette tendance. Entre 2017 et 2018, sous l’influence de ce modèle économique, le piratage aurait diminué dans sa globalité de près de 15%, dont 32% pour le piratage de musiques, et 19% pour le piratage de films.

 

Réinventer la stratégie numérique

Ces chiffres ne semblent pas concerner le marché du comics numérique. Comme le souligne Jim Lee, co-éditeur en chef de DC Comics, dans une interview pour le site icv2.com[7], le marché du comic-book numérique « a plutôt stagné ces dernières années » pour la firme. Cela s’avérant « plutôt décevant » à ses yeux. L’éditeur et dessinateur de renom a en effet affirmé que l’offre actuelle proposée par DC Comics avait atteint un « plafond de verre », dans un contexte global du marché du divertissement se tournant de plus en plus vers le numérique. Selon lui, l’un des enjeux de la maison d’édition pour l’avenir serait de « réinventer sa stratégie » vis-à-vis du numérique.

Pour Jim Lee, le service DC Universe[8] constitue une partie de cette réinvention. Leur offre repose en effet sur une hybridation de leur service de streaming audiovisuel et numérique. Le service propose en effet un accès à plus de 20 000 comics numériques, ainsi qu’aux nombreuses séries exclusives à la plateformes, telles que Titans ou Doom Patrol.

Chez Marvel, le service Marvel Unlimited[9] propose également une formule par abonnement permettant d’accéder au catalogue de l’éditeur. Enfin, le service d’Amazon, Comixology[10], propose aux Etats-Unis une offre par abonnement; Celle-ci permettant d’accéder aux catalogues de DC, Marvel et des éditeurs indépendants.

Néanmoins, ce modèle économique de l’abonnement n’a pas encore bouleversé les usages. De plus, il soulève également des problèmes pour les professionnels de l’industrie.

Si de nombreuses craintes vis-à-vis du numérique persistent, notamment de la part des libraires. Ces derniers y voient une réelle menace dans un contexte où leurs ventes ne cessent de décliner[11]. Dès lors, le modèle par abonnement pose aussi la question de la rémunération des artistes et des auteur. Celle-ci étant évidemment plus faible que dans le cas de l’achat unitaire. Enfin, la question du prix du comics unitaire contribue à limiter la croissance du marché numérique, puisqu’il demeure identique aux versions papiers.

Ces différents éléments montrent que l’industrie du comics n’a pas encore trouvé le modèle économique idéal afin de freiner le phénomène du piratage, tout en permettant une juste rémunération des différents acteurs impliqués.

Afin de trouver des réponses à cet épineux problème, certains éditeurs indépendants tentent d’expérimenter de nouvelles approches. C’est par exemple le cas de l’éditeur indépendant Vault Comics, comme rapporté par le site Bleeding Cool[11]. Le CEO de Vault Comics, Damian Wassel a ainsi annoncé avoir mis à disposition quinze titres, accessibles sans inscription et sans DRM. En échange : un paiement au montant libre dont la moitié sera reversée à des associations.

Une démarche originale, qui semble connaitre un certain succès : quatre nouveaux comics ont ainsi été ajoutés par Vault Comics à la date du 6 décembre[12]. Reste encore à voir si ces expérimentations contribueront à l’émergence de nouveaux modèles économiques pour un marché qui continue de se chercher, malgré la multiplication des services.

Brandon Escrich

 

Sources :

Jude Terror, Bleedingcool.com, « Jim Zub Says Thousands Pirated Champions #4 on Release Day, Asks for Reader Support », 3 avril 2019 : https://www.bleedingcool.com/2019/04/03/jim-zub-claims-thousands-have-pirated-champions-4-asks-for-reader-support/

BBC.com, « Rise of comic book piracy ‘a real problem’ », 29 novembre 2019 : https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-50564713

Laura Urquizu, Redpoints.com, « Pirated comic books and the problem of going digital » : https://blog.redpoints.com/en/comic-book-piracy-and-the-problem-of-going-digital

Étude de l’European Union Intellectual Property Office, Novembre 2019 : https://euipo.europa.eu/ohimportal/en/web/observatory/news?p_p_id=csnews_WAR_csnewsportlet&p_p_lifecycle=0&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_p_col_id=column-1&p_p_col_count=2&journalId=5443198&journalRelatedId=manual/

Milton Griepp, icv2.com, « ICV2 INTERVIEW: DC publishers Jim Lee and Dan Didio at SDCC 2019 , 7 août 2019 : https://icv2.com/articles/news/view/43777/icv2-interview-dc-publishers-jim-lee-dan-didio-sdcc-2019-part-1 , rapporté en France par Comicsblog.fr à l’adresse suivante : http://www.comicsblog.fr/35710-Jim_Lee_estime_que_DC_Comics_devrait_reeinventer_son_offre_numeerique

Jude Terror, Bleedingcool.com, « Vault Counters Comics Piracy with Digital “Pay What You Want” Charity Sale », 4 décembre 2019 : https://www.bleedingcool.com/2019/12/04/vault-counters-comics-piracy-with-digital-pay-what-you-want-charity-sale/

Jude Terror, Bleedingcool.com, «Vault Adds More Titles to Successful “Pay What You Want” Sale; Comics Piracy on the Ropes », 6 décembre 2019 : https://www.bleedingcool.com/2019/12/06/vault-adds-more-titles-to-successful-pay-what-you-want-sale-comics-piracy-on-the-ropes/

Notes :

[1] Tweet de Donny Cates : https://twitter.com/Doncates/status/1198667682461212672?s=20

[2] Tweet de Jim Zub : https://twitter.com/JimZub/status/1113468553875816449?s=20

[3] Tweet de Jim Zub : https://twitter.com/JimZub/status/1198939012288974848?s=20

[4] Tweet de Jimmy Palmiotti : https://twitter.com/jpalmiotti/status/1198705753005154305?s=20

[5] Article de Laura Urquizu pour le site Red Points :  https://blog.redpoints.com/en/comic-book-piracy-and-the-problem-of-going-digital : « now uploaders can use software to rip digital copies and remove DRM – or even just take high-resolution screenshots of comic books to upload online. »

[6] Online copyright infringement in the European Union, Music, films and TV (2017-2018), trends and drivers

[7] Interview de Jim Lee pour Bleeding Cool : https://icv2.com/articles/news/view/43777/icv2-interview-dc-publishers-jim-lee-dan-didio-sdcc-2019-part-1

[8] https://www.dcuniverse.com/coming-soon/

[9] https://www.marvel.com/comics/unlimited

[10] https://www.comixology.com/unlimited

[11] Article de Bleeding Cool par Jude Terror : https://www.bleedingcool.com/2019/12/04/vault-counters-comics-piracy-with-digital-pay-what-you-want-charity-sale/

[12] Article de Bleeding Cool par Jude Terror : https://www.bleedingcool.com/2019/12/06/vault-adds-more-titles-to-successful-pay-what-you-want-sale-comics-piracy-on-the-ropes/

 

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