Posté 8 novembre 2019 par dans la catégorie Interviews
 
 

Thierry Mornet (Delcourt) en Interview

A l’occasion du festival de la BD de Chambéry, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Thierry Mornet, le responsable éditorial de la branche comics de Delcourt. Éditeur du phénomène Walking Dead qui touche à sa fin, nous avons pu parler de sa vision de l’édition et des valeurs qu’il défend ainsi que du Garde Républicain dont il est l’auteur.

LesComics.fr : Delcourt a, il me semble, été un précurseur pour la publication de comics provenant du milieu indépendant et creator-owned en France. Surtout, vous avez une politique d’artistes très forte (Kirkman, McFarlane, Haberlin, Brubaker, etc.). En quoi c’est important de les mettre en avant lorsqu’on édite du comics indépendant ?

Thierry Mornet : Ce qui m’importe chez Delcourt, c’est le développement d’univers d’auteurs. Mettre en avant ce qu’ils font et ce qu’ils ont fait. C’est très simple à identifier puisque ce sont les univers de Mike Mignola avec Hellboy, de Eric Powell, de Jeff Smith, de Terry Moore, de Todd McFarlane. De Will Eisner aux plus récents, Brian Haberlin en tête qui explose en tant que scénariste désormais avec Medieval Spawn/Witchblade ou Sonata que l’on va bientôt proposer (extrait gratuit dispo ici), ce qui m’importe, c’est de mettre en avant les artistes qui font les comics.

Ce sont eux les figures importantes. Chez Marvel et DC, ce sont des runs animés par des auteurs particuliers qui deviennent mémorables. Ce ne sont pas vraiment les personnages qui importent mais ce qu’un auteur est capable d’en faire.

Le catalogue Contrebande est différente du reste du marché parce que je veux vraiment me concentrer sur des auteurs. Robert Kirkman en est un exemple clair. Évidemment, il y a Walking Dead mais il a aussi d’autres séries de très grande qualité : Oblivion Song, Invincible, Outcast et d’autres dont Die, Die, Die. Lui et Charlie Adlard vont être invités à Angoulême pour la fin de Walking Dead et on va faire une exposition pour montrer la qualité de leur travail.

 

Brian Haberlin Spawn

 

C’est quoi ton ressenti sur l’état du marché ? J’ai l’impression que beaucoup de comics sortent toutes les semaines et parfois, trop ? Tu n’as pas peur de la saturation du marché ?

Farmhand Tome 1 Delcourt

Je pense que c’est plus qu’une crainte. Maintenant, c’est une réalité, le marché est saturé depuis cinq ou six ans avec l’arrivée de Urban qui a fait en sorte que des gens découvrent des comics par leur intermédiaire. Le problème, c’est que cela s’est fait de manière très massive sur des marques super-héroïques.

Personnellement, ça ne m’a pas fait changer d’approche. Je ne veux pas sortir trop d’albums par mois parce que je n’ai pas envie d’envoyer des titres au casse-pipe . Ils n’auraient pas la visibilité suffisante pour fonctionner. Je ne vois pas l’intérêt de tenter de faire percer un nouvel auteur ou un nouvel artiste si c’est pour le noyer dans la masse des sorties. Après, on n’y arrive pas toujours. On ne maîtrise pas toujours les calendriers de sortie et une sortie majeure chez la concurrence peut écraser un titre sur lequel nous avions des attentes. Pourtant, je suis fier de sortir certains titres comme Extremity de Daniel Warren Johnson, d’ailleurs, on sortira Murder Falcon.

Sortir Strangers in Paradise de Terry Moore, c’est poursuivre une collaboration entamée depuis longtemps avec lui. La série va d’ailleurs connaître sa conclusion bientôt chez nous avant d’entamer un crossover, Cinq Ans.
Motor Girl du même auteur a été un beau succès et j’en suis très fier.

On tente la même chose avec David Lapham que je rêve d’adapter en français depuis vingt ans (Stray Bullets, NdR) et je pense que l’on a trouvé un bon format pour faire découvrir son univers. C’est d’autant plus important dans un marché de comics saturé par les super-héros. Les auteurs que je défends font autre chose que du super-héros, tous en ont fait par le passé mais ils explosent et se libèrent par le creator-owned.

Mettre en avant Rob Guillory, ce n’était pas gagné parce qu’il a un style de dessins atypique. Pourtant, dans Tony Chu, il y avait des thématiques qui m’intéressaient et on a eu la chance d’avoir du succès sur la série donc la publication de Farmhand s’est imposée d’elle-même.

 

 

Tout récemment, vous avez sorti le Dracula adapté du film de Coppola, dessiné par Mike Mignola et scénarisé par Roy Thomas qui avait taffé sur le film. Est-ce qu’il y a d’autres projets du même type si cela rentre dans votre politique d’auteur ?

Au même titre que les ouvrages de Terry Moore ou de David Lapham, ça faisait un moment que je voulais rééditer ce titre. Les droits étaient bloqués depuis des années et ça s’est débloqué récemment grâce à IDW. Je me suis rué dessus parce que c’est une œuvre de qualité, ce qui est plutôt rare pour une adaptation et ce sont les débuts de Mike Mignola juste avant son Hellboy. Donc, ça s’inscrivait dans la logique du catalogue d’auteurs et artistes Delcourt.

Du coup, ça dépendra de la qualité du matériel. Surtout qu’il y a de moins en moins d’adaptations, aujourd’hui, sauf chez Marvel. Ce sera vraiment si ça rentre dans notre logique.

 

Vous avez aussi publié Les chroniques de Corum, travail de jeunesse de Mike Mignola. Même question que précédemment, du coup, est-ce qu’il y a d’autres projets du même type ?

Encore une fois, si la qualité est au rendez-vous et que ça rentre dans la logique du catalogue Delcourt, pourquoi pas. Il faut surtout que ça rentre dans la carrière de l’auteur. Personnellement, j’aimerais éditer tout le Spirit de Will Eisner mais beaucoup d’éditeurs s’y sont cassés les dents. Du coup, on travaille sur ses travaux en romans graphiques.

Là encore, ce n’est pas une recherche systématique. Pour David Lapham, comme c’est une œuvre qu’il mène depuis une vingtaine d’années, on reprend depuis le début. Surtout, tant que l’on arrive à construire des relations de confiance avec les créateurs, c’est ce qu’il y a de plus beau pour un éditeur. Avec Terry Moore ou Mike Mignola, on a cette relation-là et j’en suis fier. Je suis une extension de leur travail sur le marché français.

Extrait Tome 1 Oblivion Song

 

Ça rejoint ce qui a été fait avec Oblivion Song.

Oui, parce que l’on a pu se placer dans une logique inverse face à ce qui se fait habituellement. C’est vraiment à mettre au crédit de Robert Kirkman qui tente souvent ce genre de choses. Après, ce qui est dommage c’est que l’on n’a pas pu faire pareil pour la suite mais ce sont les créateurs qui décident de ce qu’il faut faire et ne pas faire donc les décisions leur appartiennent.

Avec Skybourne, en discutant, on va pouvoir présenter l’épilogue de Walking Dead dans un tome à part, le tome 33. Ce n’est pas une volonté de tirer sur la corde parce que c’est un tome vraiment unique, à part. On profite de la venue des deux créateurs à Angoulême pour proposer ce dernier tome avec des bonus inédits. C’est vraiment lié à notre relation avec Robert Kirkman, c’est une reconnaissance pour l’éditeur.

 

 

Parlons un peu de Walking Dead, les chiffres de vente le montrent, c’est la meilleure vente comics en France. Quelle a été ta réaction lorsque l’annonce surprise de la fin est arrivée ? En tant que fan de comics et en tant qu’éditeur ensuite ?

En tant que fan, je suis déçu parce que j’étais vraiment accro à la série, à chaque nouvelle sortie, le nouveau tome se retrouvait en haut de ma pile de lecture, systématiquement. Mais rapidement, j’ai eu le réflexe de me dire que c’est un titre qui appartient à ses créateurs et que c’est donc leur choix. Voir des auteurs décider du moment où la série doit s’arrêter, c’est magique et c’est une très bonne chose.

En plus, c’est énorme, seulement quatre ou cinq personnes étaient au courant. Ils continuaient à créer des fausses couvertures pour cacher cette fin. Franchement, mettre fin à une série avec un si gros succès, respect !

 

Couverture Tome 1 Walking Dead Prestige

 

J’ai tendance à penser que la fin de la série ne signe pas la fin des ventes, au contraire. À Delcourt, vous êtes effrayés ou pas du tout par cet arrêt ?

Non. Déjà, ce n’est pas la fin du monde (rires) ! Et puis, ce n’est pas la première série à succès qui s’arrête. Enfin, si mon catalogue se réduisait à Walking Dead, ce serait triste, même si certains pensent que c’est l’arbre qui cache la forêt. Je suis vraiment ravi en tant qu’éditeur de connaître ce phénomène et j’ai conscience de la chance que j’ai eu en tant qu’éditeur de connaître ça.

Et puis, d’un autre côté, ça va aussi permettre la mise en avant d’autres titres et ça va peut-être laisser de la place pour d’autres comics de Robert Kirkman comme Die!Die!Die! ou Charlie Adlard. En ce moment, on travaille sur son nouveau projet, en plus de Vampire State Building pour Soleil.

Alors, évidemment que ça aura un impact financier mais c’est aussi une opportunité de mettre d’autres titres en avant.

 

Couverture Le Garde Républicain Thierry MornetAllez, on change de casquette, parlons du Garde Républicain ! La suite est disponible avec le numéro 14.

Oui, je l’ai amené à Chambéry pour une raison très simple : Léo Chiola, le dessinateur du numéro est chambérien. je l’avais rencontré à quelques reprises et c’est quelqu’un de très talentueux.

 

Le Garde Républicain, ça rejoint le super-héros, c’est une manière de t’approprier ce genre ?

D’une certaine façon, oui. Mais aujourd’hui, je lis très peu de super-héros, je pense que je me suis débarrassé du fantasme adolescent lié à l’être surpuissant qui met un slip par-dessus son pantalon.

Le Garde est très personnel. Ça ressemble à un bac à sable d’expérimentation et c’est aussi un projet que j’autofinance, autoédite.

Ça va finalement plus loin que le super-héros mais c’est surtout lié aux valeurs que je défends et à l’Histoire de France. Le Garde est un personnage qui évoque l’héritage puisque quand l’un d’entre eux disparaît, un autre prend le relais. Du coup, je me sers du contexte historique pour balader mon personnage dans plein d’époques différentes avec plein de styles d’histoire différents aussi.

 

Ça rejoint ton travail d’éditeur avec les valeurs que tu défends et qui sont vraiment importantes.

Je pense que c’est important de réussir à défendre les valeurs qui nous tiennent à cœur, je suis pas là pour faire de la BD à message mais je crois que c’est nécessaire.

 

Un immense merci à Thierry Mornet d’avoir pris le temps de répondre à nos questions alors qu’il était très sollicité.

 

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Comics Grinch râle beaucoup. Son origine vient de ses nombreuses grincheries envers BvS. Ayant gonflé sa petite amie avec ça, elle lui suggéra d'en parler avec d'autres. Ce fût chose faite. Vénère Grant Morrison, conchie Mark Millar.