Posté 28 mai 2021 par dans la catégorie Dossiers
 
 

Daredevil Renaissance un Must Have Sous le Masque !

« Sous le Masque » : une rubrique qui vous invite à voir par le prisme de la psychanalyse sous le masque des super-héros et super-vilains de comics pour en dévoiler les énigmes et révéler leurs secrets inédits !

daredevil renaissance

Daredevil, le super-héros aveugle, justicier de Hell’s Kitchen, a eu son lot de revers et de chutes avant de se relever. Et comme dans toute chute, il s’y révèle des choses nouvelles lorsque l’on y plonge. Et à la remontée, rien n’est exactement pareil. Lors du célèbre run de Frank Miller et David Mazzucchelli sur Daredevil, un must-have surnage, Renaissance (Born Again en VO). Ici, le super-héros aveugle voit son identité secrète révélée à son pire ennemi et tout perdre. Son métier, sa maison, son meilleur ami, son identité secrète, son rôle de super-héros.

C’est dans cette descente aux enfers que Matt Murdock va rencontrer une personne d’importance capitale : sa mère. Et nous allons voir en quoi cette rencontre en dit long sur notre super-héros aveugle.

Pariah et Born Again : chute et retour.

Il suffit de deux épisodes pour faire de cette apparition maternelle un moment des plus marquants dans une histoire de super-héros. Au début du numéro Pariah, nous découvrons un Matt Murdock à la rue, sans ressources, démuni, en position fœtale. Tout lui a été ôté par le Caïd, son ennemi juré qui a mis tout en œuvre pour le briser à la fois psychiquement et physiquement. Mission réussie, Daredevil apparaît sur ce plan totalement démuni, après avoir titubé, pouvant à peine marcher dans les rues hostiles.

Cette position fœtale évoque la dépression, dont Matt Murdock est familier dans ses aventures. Mais elle évoque aussi naturellement la position du nourrisson qui vient de naître. Si Pariah évoque le rejet, la non-inscription sociale, l’être qui n’est plus ou pas encore identifié, nous pouvons voir dans cette position fœtale un moment régressif pour Daredevil. Face à la perte de tout ce qui le constituait, il ne peut que revenir à sa situation la plus archaïque : celle d’un nourrisson sans défense.

Abandonné, orphelin de père, abattu par une figure qui l’a écrasée, Matt Murdock ne peut alors choisir meilleur moment pour rencontrer celle qui demeure un mystère pour lui : sa mère.

daredevil renaissance born again

De l’absence paternelle à la présence maternelle.

Nous connaissons l’importance pour Matt Murdock de la figure paternelle. Son père qui lui a transmis le devoir d’être un homme bien, en appuyant ce désir pour son fils d’un élément fort : le vœu de ne pas être comme lui. Autrement dit, un homme qui a chuté du mauvais côté de la Loi après avoir accepté de trafiquer un de ses combats de boxe.

C’est donc sur une identification en négatif que Matt Murdock se construit en suivant le désir de son père. Il doit donc devenir celui que son père n’a pas su être. Voilà un but des plus élevés, même pour un homme sans peur. Et la chute n’en est que plus rude. C’est alors après cette chute que Matt revient au seul lieu qui lui reste comme repère, le gymnase. En somme, le lieu où son père s’entraînait.

“Il est là. Les odeurs aussi. Toutes les odeurs de toutes ces années. La sueur. Ma sueur, papa. Et la tienne. Tu t’entraînais ici et tu m’as fait promettre de ne pas y mettre les pieds. Je t’ai menti. J’ai promis et j’ai désobéi.”

Voici les mots de Matt Murdock dans ce monologue adressé à son père qu’il retrouve par deux moyens : les sensations olfactives et le sentiment de culpabilité. Les sensations olfactives, parce que Daredevil est le super-héros aveugle aux sens super-développés. Mais nous pouvons y voir un autre élément.

Les odeurs forment les traces mnésiques les plus anciennes et les plus archaïques. Elles ramènent aux souvenirs les plus anciens et intimes et ce sont parmi les premiers éprouvés de l’être humain. Psychiquement, ces éprouvés forment un point de repère inaltérable, ce qui demeure au fond de la psyché, de cette sensorialité qui forme les premiers ressentis, avant même le sentiment d’exister. L’autre élément qui le relie au père réside dans ce sentiment de culpabilité. Là où Matt avait promis de s’élever au-dessus de ces combats de poings, le voici tombé suite à un combat de rue avec le Caïd. Lui, l’homme de loi a tout perdu pour avoir été ce vilain garçon, ce diable qui s’est aventuré sur la frange de la loi pour rendre justice, quitte à tout perdre. Et cette désobéissance à l’interdit paternel, Matt Murdock le relie à sa propre culpabilité.

C’est après avoir rejoint l’absence paternelle dans le gymnase que son père boxeur fréquentait, après y avoir perdu ses dernières forces en tapant de toutes ses dernières forces dans un punching-ball, lorsqu’il s’effondre alors, tombant comme mort, qu’apparaît la figure maternelle. L’image n’est pas sans rappeler la Piéta de Michel-Ange, sculpture en marbre de la fin du XVe siècle, du Christ mort descendu de la croix dans les bras de sa mère Marie. Dès lors, nous savons que cette femme providentielle venant porter secours à Matt Murdock est sa mère. Lui ne le sait pas encore. Ainsi se clôt le chapitre Pariah, et s’ouvre alors le suivant, Born Again, qui verra Daredevil passer par une renaissance bien particulière.

Mother’s Day : le bain sensoriel.

daredevil maman

C’est un Daredevil qui a perdu l’usage de ses jambes que nous retrouvons. Meurtri, éreinté, dénutri, lui qui escaladait les immeubles et gratte-ciels ne peut même pas marcher. Le voici redevenu nourrisson, celui qui ne sait marcher par ses propres moyens. Et c’est en effet sa mère qui le remet au lit en énonçant simplement :

“Je m’appelle Maggie. Et tu restes ici”.

Cette présence maternelle va concerner les soins physiques et psychiques. Après l’avoir remis au lit pour éviter sa chute, cette figure maternelle va mettre en œuvre une fonction psychique bien connue en psychologie de l’enfant : le holding. Le “holding” est la fonction physique et psychique de portage maternel. Autrement dit, la capacité maternante de porter l’enfant corporellement et psychiquement, par des soins et une présence suffisamment bonne, contenante et sécurisante, afin de lui permettre de se constituer ses propres moyens d’assurance et d’exploration du monde. Après la phase de repli dépressif de Matt Murdock dans la rue en position fœtale, voici comment la figure maternelle prend soin de cet être démuni en train de re-naître.

Matt Murdock va ainsi décrire le bain sensoriel identique au nourrisson, lequel va dans ses premiers ressentis sensoriels sentir les vibrations de la voix, y compris in utero, au contact de la mère l’odeur de la peau. Nous voyons dans le récit Matt se saisir du pendentif en forme de croix de Maggie pour se remémorer, et revenir à ses souvenirs plus anciens, ramenant au chemin perdu de sa mère. Les sons et les odeurs vont constituer son environnement qui va peu à peu, lui qui est quasiment aveugle, former, à l’instar de Daredevil avec ses super-pouvoirs, son sens radar. Matt Murdock décrit ainsi :

“Mes sens étaient à vif. Les sons. Les odeurs. Tout faisait mal.”

Tel pour un nouveau-né après sa naissance, avant d’ajouter :

“Puis une femme est venue avec des mots d’espoir. Elle n’a pas dit qui elle était. Elle portait une croix en or. Je l’ai touchée. Je ne l’ai jamais oubliée. C’était cette même croix.”

Ainsi, Matt Murdock retrouve cette femme qui était déjà là lors d’une première chute, celle de son accident qui lui a conféré ses capacités extrasensorielles. Une chute en évoque toujours une autre, et c’est selon ce qui s’est constitué pour chacun comme sentiment de réassurance que ce qui est appelé par certains résilience peut se mettre en mouvement. La résilience vendue comme une capacité à trouver en soi des ressources n’est pas donnée d’emblée. Elle dépend notamment de la façon dont chacun a été récupéré après ses première chutes, et comment cela s’est inscrit psychiquement, intérieurement, en lui.

C’est ici ce que Daredevil, un spécialiste de la chute, rappelle. Se relever d’une chute, c’est invoquer les chutes qui l’ont précédée, et selon ce qui s’est construit en chacun et comment chacun a été porté par l’autre, se relever est possible d’emblée, ou passe par le fait de plonger en soi pour en remonter autrement.

Inconsciemment, Matt Murdock remonte à la première chute, celle de l’abandon maternel. Il se remémore sa présence lors de sa naissance, par sens interposés. Ses pensées l’indiquent clairement :

“C’est un plaisir de rester assis à l’écouter. Le cœur de Maggie bat à ma droite. Il est solide. Elle a encore de longues années devant elle. Elle a la même odeur que dans ma chambre d’hôpital. C’est une odeur agréable. Très proche de la mienne”.

Si nous pouvions entendre les pensées formulées d’un nourrisson, elles pourraient être celles-ci. Un cœur solide, donc sécurisant. De longues années à vivre, parce que la figure maternelle porte l’espoir d’être présente le plus longtemps possible. Et cette odeur qui forme un sentiment de sécurité et d’identification. Une odeur “très proche de la mienne“, jusqu’à la question qui suit de Matt à MaggieMaggie, êtes-vous ma mère ?“. “Bien sûr que non, mon enfant” répond-elle, avec l’ambiguïté du terme “mon enfant” pour la religieuse que cette femme est devenue. Et Matt, à l’instar d’un nourrisson sur la poitrine de sa mère, de se fier davantage au rythme cardiaque qui s’accélère pour deviner la vérité derrière cette réponse voilée. “Elle ment“, déduira-t-il, confirmant par les sens ce que les mots contredisent.

daredevil karen

Epilogue : trois naissances pour naître à soi-même

Nous avons vu que cette re-naissance suit de façon très précise les mêmes chemins qu’une naissance, physiquement et psychiquement. Et nous apprenons au détour de cette chute et de cette renaissance de Daredevil qu’il ne s’agit pas d’une seconde naissance, mais d’une troisième.

Car Matt Murdock est né trois fois : une première fois comme tout petit être, sans souvenir, se fiant à ses sensations puis oubliant ce moment inscrit très profondément. Une deuxième fois après son accident qui lui a coûté la vue, où il se remémore après-coup la présence maternelle à travers la sensation du toucher notamment, une présence qui lui a permis de maintenir l’espoir et à laquelle il a fait une promesse, celle de se battre, dont il se souvient en boxant dans le gymnase contre l’avis de son père. Et une troisième naissance lors de ce Born Again qui porte très bien son nom. Cette chute où tout lui est retiré et qui permet de voir une fois démuni, une fois la perte consommée, s’il ne reste rien ou s’il reste un Homme au fond.

Trois naissances pour naître au monde, une fois biologiquement, une fois pour accepter une insuffisance, comme tout un chacun lorsque nous acceptons notre limite, cette castration qui est la nôtre de ne pouvoir tout faire, et une autre naissance pour apprendre qui l’on est au-delà de son Moi, démoli comme sa maison, et trouver son identité. C’est ce que Matt Murdock trouve en fin de compte, une identité qu’il doit à ses sens et son nom, et non à ce qu’il possède, au métier qu’il fait, au nom qu’on lui donne. Daredevil conclura à la fin de Renaissance :

“Je suis Matt Murdock. Des radiations m’ont rendu aveugle. Mes autres sens ont une acuité surhumaine. Je vis à Hell’s Kitchen. Et je m’efforce de garder le quartier propre. Il n’y a rien d’autre à ajouter”.

Un nom transmis, ce qu’il a perdu, ce qu’il y a gagné, là où il a choisi de vivre, ce qu’il a choisi de faire. Et ce qu’il a hérité de ses deux parents, et ici particulièrement de sa mère retrouvée. De ce qu’elle lui a transmis en dépit de ses absences. Un présent enfoui inestimable, le pouvoir de se relever et de renaître des chutes les plus terribles. Voici les coordonnées que nous donne ce must have de Daredevil, Renaissance, comme remède aux effondrements, voici les corniches auxquelles nous raccrocher et desquelles sauter sans peur, l’essentiel chevillé au corps.

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Chroniqueur et psychanalyste, Alex Hivence passe sous son regard psychanalytique les comics! Et analyse les personnages Sous le Masque